Les Biflides se souviennent
par Guy Boulianne


ISBN : 978-1-926723-07-5
Format : 40 pages, 8.5 x 8.5 po., broché,
papier intérieur : Encre intérieure, couleur pure,
couverture extérieure #100 en quatre couleurs

Avant de lire « Les Biflides se souviennent », il serait peut-être préférable de lire d’abord les « Avant-propos d’un prince fou » de Guy Boulianne si l’on veut de la clarté et du sens, des vers et des verbes qui raisonnent. Car une fois sur Les Biflides se souviennent, tous les liens avec le réel seront coupés. Le non-sens sera roi. Le rêve de substituera au réel. L’imagination épousera les fantasmes les plus enfouis. Le monde finira d’être ce qu’il est vraiment pour devenir ce qu’il devrait être par la force de l’imaginaire. Hommes, plantes et animaux ne feront plus qu’un. Fusion de tous les êtres, de toutes les créatures. Le petit être deviendra grand et le grand deviendra petit. Aucune notion de temps. Aucune notion d’espace. Aucun souci de forme, ni du beau, ni de l’utile.

Il serait préférable, avais-je dit, de lire d’abord les Avant-propos d’un prince fou car on  trouve déjà  dans son « Cauchemar », ces choses aux formes rondes, ces animaux bizarres, ces danses d’orgie, ces couleurs de mille feux, ces fleurs et ces plantes hallucinogènes qui poussent dans l’eau et cette sensation de bien être quand on rêve, qu’on retrouvera une fois sur Les Biflides se souviennent et ses illustrations.

Illustrations qui, au lieu d’apporter un quelconque éclairage, inversent toutes les perceptions que nous avons de la vie et des choses. C’est comme si l’on voyait du mauvais côté des jumelles. Ce sont des détails tirés du célèbre tableau de Jérôme Bosch à trois panneaux « Le jardins des délices». L’auteur a choisi le panneau du centre qui représente le paradis terrestre où les animaux et les hommes vivent en harmonie. Une harmonie démoniaque, soutiennent ceux qui n’y voient que sexe, sodomie et perversion.

Guy Boulianne annonce déjà que c’est un court récit de voyage surréaliste et complètement absurde. C’est donc un monde dicté par la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison. Les propos comme les images échappent à toute logique ou à tout sens commun. C’est là la toute puissance du rêve.

Mais comment et pourquoi lire un récit de voyage où il n’y a rien à comprendre ? Quel intérêt revêt un écrit dépourvu de tout sens de  toute préoccupation esthétique ou morale.

En sachant que Guy Boulianne est à la fois poète et peintre qui a ouvert ses propres galeries d’art, qui a vécu en ermite s’entourant de ses livres, on s’approche peut-être de la réponse. Car j’imagine qu’il faut agir avec son récit de voyage de la même manière qu’avec une production picturale. C'est-à-dire qu’il faut fermer les yeux, rompre avec le monde rationnel et se laisser emporter par les images et seulement par les images que suggèrent ses vers.

Il y a effectivement de nombreuses images mais qui ressemblent parfaitement aux détails d’un gigantesque tableau, à l’image de celui de Bosch « Le jardin des délices ». Elles sont aussi dignes de ce peintre gothique du quinzième siècle. J’en ai dénombré seize. Il va sans dire que c’est un compte tout à fait subjectif puisque dans pareils cas, à chacun d’imaginer le message et la signification des images, à chacun de retrouver sa petite vallée personnelle.

  • Image une : Un ivoire en pendaison. Des gens frottant la cervelle sur les caveaux de l’oubli. Des milliers de fourmis et d’araignées vont et viennent sur les pavots du Calvaire.
  • Image seconde : Un lieu où les sandales mangent du riz. La vie se gave de confiture. Luxures légères. Les Biflides qui jonchent la rivière.
  • Image trois : Les plafonds tombent. Au-delà le verbe il y a un trou, et ce trou, plus grand qu’une épave qui se fait belle.
  • Image quatre : Les soldats au fières allures cherchent la mort au coin des rues.
  • Image cinq : Le roi- écrevisse court à sa perte.
  • Image six : Un troupeau de vaches qui broute l’herbe. Un ciel ombragé d’un lendemain sans futur. Les monstres…
  • Image sept : Manger de nos chairs en amour.
  • Image huit : Un parc où on va tous chercher la gloire. Les oiseaux perdent la tête. Un chat n’ose traverser à cause des passants. Tout respire le qui-vive d’un matin ordinaire.
  • Image neuf : Un nuage et un clocher s’embrassent.
  • Image dix : Colline de Jultère. Ce pays où parfois, jonction et friction ne font qu’un et qu’une pluie inonde de plongeons de miroirs.
  • Image onze : La mer ensoleillée. Vaporeuses illusions cristallines. Les chats boivent de l’eau. Les oiseaux dansent. Les hirondelles scintillent aux mouvements des profondes lumières.
  • Image douze : Un mouchoir des pleurs. Se voit d’un mille de distance.
  • Image treize : Le rouge vif d’une bouteille en écume. Tristesse et cœurs en détresse.
  • Image quatorze : Un bidon qui traverse un flipon. Des rêves crapauds sautent par-dessous les verres. Un crapaud saute par travers. Les bidons rêvent dessous les verres qui viennent.
  • Image quinze : Au loin, un cri, plus fort qu’un écho. Des sons nébuleux.
  • Image seize : Des lendemains ténébreux. Poisson d’or. Lieu de dérision. Des frissons.

Les Biflides se souviennent est un court récit de voyage où le pinceau et la plume se confondent comme se confondent les personnages de Bosch. Des images à regarder, des vers à lire de « l’intérieur ».

Nous avons, certes, l’habitude d’écrire noir sur blanc, mais que se passerait-il si nous écrivions blanc sur noir ?

— Abdelouahid Bennani, poète